Le prix de l’été.

Chaque année il arrive, on l’attend, on en rêve, on le prie. Et un beau matin il est là. Les oiseaux, chantent, on a trop chaud dans les baskets, C’est l’été ! Rien de fou en somme, il revient bien chaque année (sauf parfois en Belgique). Mais qui dit changement de saison, dit envie de changements. Et qui dit envie de changement, dit Couture !SONY DSC

Le goût de la viscose

Ce n’est pas une nouveauté, je vous en ai longuement parlé lors de ma prise de conscience écologique relative aux tissus : la viscose et moi, c’est fini ! C’est pas qu’elle ne m’attire pas, la vilaine. Non, subtil mélange de douceur et de sensualité, comme quelque potion ensorcelante, son charme est terriblement puissant. Mais l’impact écologique de tant de douceur me semble parfaitement injustifié. Commencer (doucement) à réfléchir à l’impact de mes achats est un pas important pour moi. Et si je fronce des sourcils réprobateurs face à l’impact (écologique entre autres) de la fast-fashion, il est utopique de penser que tous nos merveilleux tissus ne sont pas d’une manière ou d’une autre concernés par cette débauche de pollution.

Bien sûr il m’arrive, par inadvertance ou par auto-voilage-de-face, d’acheter des Merveilleux qui sont soit synthétiques, soit issus du même procédé que la viscose (voir ma méprise sur Punto di Roma). La viscose fluide et douce qui en ce moment est partout, des magasins de tissu aux magasins de prêt-à-porter, n’est pas encore parvenue à me faire sortir mon porte-monnaie depuis l’été passé.SONY DSC

Pourtant aujourd’hui, je vais vous parler de viscose : il en reste dans mon stock. Et il n’y a pas de dilemme, même si je n’en achete plus, je vais quand même coudre les quelques coupons qui trainent dans mes tiroirs. Donc la viscose de mon stock sera cousue et non incinérée avec dispersion des cendres aux quatre vents, le gaspillage étant sans conteste l’acte le plus anti-écologique que je connaisse.

Le coupon dont je vous parle aujourd’hui vient de chez Bennytex. Ma seule et unique commande chez eux. Autant le dire, j’ai été super déçue. La qualité, les couleurs, le tombé du tissu, rien ne correspondait avec ce que j’avais en tête. Concernant la qualité, il est évident que pour ce prix là, c’est pas couru d’avance d’avoir un tissu haute couture. Mais tout de même, j’avais fantasmé, et j’étais déçue par la réalité. J’imagine que c’est un peu le même effet lors d’un premier rendez-vous après des mois de chat-Tinder-fantasme en ligne…

Ce pauvre morceau de tissu est donc resté près de 2 ans et demi dans un fond de fond de caisse en attente d’un sort particulièrement peu déterminé. Je ne savais tout bonnement pas quoi en faire. Et d’attente en attente, je l’ai presque oublié.SONY DSC

Le luxe de la simplicité

Je n’achète plus de vêtement ; cependant lorsque j’en ai l’occasion je prends un peu de temps pour regarder les vitrines des magasins. Je m’amuse à repérer les tendances (que je ne suivrai pas) et à critiquer les apparences surréaliste-ment osseuses des mannequins en vitrine. Cette ambiance de transition de saison et mon envie de changement m’ont poussée dans un magasin plus qu’appétissant, en quête de nouveautés. Faire du lèche-vitrine et des essayages « pour voir » dans des magasins un peu luxe, voilà une façon de faire du shopping qui me plait bien. Il n’y a pas grand monde, l’endroit est joliment décoré, et il y a plein de pièces un peu originales à essayer pour se faire une idée de formes et de couleurs un peu différentes.SONY DSC

C’est à cette occasion que j’ai essayé un top en viscose fleurie que je trouvais très agréable. La coupe aérée et simple avec le petit twist en plus. Les coutures dos et cotés étaient maintenues par quelques points seulement, ce qui laisse entrevoir la peau au gré des mouvements du tissu. Simple, terriblement efficace et agréable. J’ai reposé le top dans les rayonnages, et j’ai emporté l’idée avec moi.

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Le vrai détail original de cette blouse

Le prix et le coût des jolies choses.

Il est intéressant de constater qu’en fonction de l’endroit ou vous vous situez, lorsque vous regardez un même objet, vous ne voyez pas nécessairement la même chose : c’est la question du point de vue. Faisons ensemble l’exercice concernant ce petit top. Son prix m’a un peu interloquée à prime abord. Mais force est de constater que lorsqu’on fait l’exercice d’analyse, les conclusions peuvent être bien différentes. Cent vingt euros le petit top en viscose, ça vous fait quoi ?

  • Le point de vue de l’acheteuse : Oups, pas possible que je sorte cet argent là pour un top en viscose. Ça vaut moins de 15 euro chez H&M.
  • Le point de vue de la couturière : C’est juste deux bouts de tissus, un peu de couture. Avec un mètre de tissu (à 6 euro) et 4 heures de couture j’aurai le même.
  • Le point de vue de la production : le tissu, plus environ trois heures de travail à 25 euro, les charges sociales, l’atelier et les outils , l’emballage, le transport, les frais de magasins (local, chauffage, vendeur, etc.), la publicité, les taxes, et le joli sachet, on ne doit pas être bien loin du prix affiché sur l’étiquette.SONY DSC

Bien sûr, pour le dernier cas, j’ai considéré une fabrication avec de la main d’œuvre d’Europe centrale, rémunérée correctement et avec protections sociale. Honnie soit la production Sweatshop made in Bangladesh ou autres Philippines. Bien sûr nous avons peu de garanties quant à la provenance et au coût total de production/fabrication du vêtement, même dans le “luxe” le doute est de mise. Même lorsque nous payons un prix substantiel, nous n’avons que très rarement la certitude que la pièce a été produite dans des conditions décentes et payée raisonnablement. Mais mettons de coté cette hypothèse et son incertitude, et considérons que pour une pièce décente il faille payer un prix décent…

En tant qu’acheteuse, je reste interdite devant ce niveau de prix. Un top à 120 euro représente une partie significative de mon revenu. De plus, nous avons été habituées à acheter pléthore de tops équivalents pour moins de 15 euros pièce. De l’œil de la couturière naît une réflexion économique plus basique et nous pouvons comprendre l’ordre de grandeur (la centaine d’euro). Pas simple d’assembler les deux bouts tellement antagonistes de cet embryon de réflexion personnelle et de les faire coïncider. Moi consommatrice ou moi responsable. Dans quel référentiel dois-je évaluer la valeur des choses ? Où dois-je me mettre dans le référentiel ? Quel est le meilleur point de vue ? Suis-je prête à m’y rendre ?

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L’ourlet super échancré. Pas la peine de vous montrer les détails, de couture, avec ce motif, on n’y voit goutte!

Rome ne s’est pas faite en un jour et je ne suis pas prête de trancher mes propres paradoxes. Cependant la réflexion me fait avancer même si elle ne mène pas directement à des changements radicaux, la direction varie comme ma réflexion. Et plus encore que la réflexion, le partage peut nous aider à avancer. Dites moi ce que vous en pensez, comment vous positionnez vous par rapport à ces dilemmes éthiques entre consommation, origine, prix, qualité ; lequel pilote vos choix ? Je serais ravie de pouvoir échanger avec vous sur le sujet.SONY DSC

Moi, couturière de luxe

Après cette prise de tête, j’ai sorti mon coupon de viscose de son ennui et je me suis attelée à la tâche de re-copiage pour me vider l’esprit de ce mix-cérébral aux relents de paradoxe, pondéré de dilemmes permanents et fondamentalement sans issue. Et je me suis fait un top à 120 euro. Heeeeeuuuuuu non, à 6 euro et 4-5h de (ma petite) main d’œuvre !SONY DSC

Questions de réalisation :

  • Pinces poitrines et manches kimono, on est en plein dans la tendance un peu loose de l’été. Et moi j’aime avoir les épaules couvertes quand le soleil agresse tout ce qui se montre.
  • Finition de l’encolure avec un biais dans le même tissu. J’aurais dû faire une bande de finition, mais j’y ai pensé trop tard.
  • Ourlet super arrondi. Réalisation de l’ourlet en deux parties avec le pied à mini ourlet. Pas simple, résultat pas parfait dans les arrondis, mais l’illusion est là (c’est ça le luxe).
  • J’ai préféré fermer entièrement les cotés avec des coutures anglaises. (le top d’inspiration était ajouré sur les coutures de coté)
  • Les bords milieu-dos ont été faits aussi avec le pied pour mini-ourlet. Les deux pans sont maintenus ensemble par quelques points zig-zag très serrés. Je me suis arrangée pour que le premier point de rencontre se trouve au niveau du soutien-gorge.
  • J’ai ajouté un revers de manche comme pour la Mélilot (un rectangle) ce qui crée un peu de structure géométrique visuellement (deux triangles sur les épaules).SONY DSC

Retour d’expérience et chipotage

Je suis ravie de ce top et j’ai un coupon de soie couleur pétrole qui ne demande qu’à suivre le même chemin. Cependant quelques petits points sont à déplorer.

D’abord, je suis un peu perplexe quant à la couleur du tissu. Je trouve que ça ne va pas trop avec mon teint. Je me lancerais bien dans une action de teinture (Rouge ?), mais sans garantie du résultat sur de la viscose… Faut que je me renseigne sur les possibilités.

D’autre part, la forme loose du top, le tissu super fluide, l’encolure dégagée et les manches kimono font que le top se balade à sa guise d’avant en arrière. Pas trop de risque de décolleté indécent, mais un vêtement qui vit tout de même sa vie un peu comme il l’entend.SONY DSC

Enfin, je ne suis pas entièrement convaincue de l’effet des revers de manche et de cette illusion de petits triangles qui viennent renforcer les épaules.

Tout ça c’est que du chipot de chipoteuse. En vérité, tout top en viscose de petite copieuse qu’il soit, je l’aime bien. Maintenant la voie est libre pour couper mon tout joli coupon de soieSONY DSCSONY DSC

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détail du dos et du tissu

9 thoughts on “Le prix de l’été.

  1. Déjà, je t’aime. La démarche de se dire d’emblée que le top de luxe est fabriqué en France ou du moins par des gens bien rémunérés dans un contexte correct, je ne peux qu’approuver !
    /* Oui je donne aussi dans la conscience conso, savoir d’où ça vient, comment c’est fait, etc … Je n’ai pas été, il est vrai, habituée à acheter 15 tops à 15 euros … Je ne cesse de clamer que ma principale force électorale, c’est mon porte feuille et que si je veux vivre dans un pays avec moins de chômage et plus de légumes bio, il faut acheter en accord avec mes désirs et mes espérance. Fin de la minute conso-acteur ! */
    Ensuite, j’aime bien ton top aussi ! Le tissu est sympa /* le motif, la viscose, c’est le MAL ! */, l’idée du dos à trou-trou est marrante aussi, la couleur te va bien … & je trouve quand même plus sympa d’avoir un top sur mesure qu’un top lambda /* même de luxe !!! */.
    & sinon, le tencel ? /* Non, je ne remets pas de sou dans la machine !!! */

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    1. OUi, faut toujours remettre des sous dans la machine quand c’est pour discuter tissus et pour discuter consience conso!! 😉
      Mais je vais te décevoir, eje n’ai encore jamais eu l’occasion de toucher au Tencel. A priori c’est le même process de fabrication mais avec des produits chimiques moins polluant. Pas simple toute ces questions… le principal pour moi pour le moment, c’est de me les poser, et le plus chouette, c’est de pouvoir échanger avec les autres sur ces sujets sensibles!

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  2. Alors le prix des belles choses est un vaste débat.. D’abord je ne me place pas sur le plan économique parce qu’il est impossible de savoir si la main d’œuvre est correctement payée (ce dont je doute) et surtout dans quel pays, d’autant que le prix des tissus en gros n’est pas le même. Je me place surtout sous l’angle de la “couturière”, est-ce que le travail réalisé est absolument splendide, est-ce que le tissu est sublime pour justifier un tel achat? Toute proportion gardée, 120 euros représente une somme astronomique. Pour mieux me rendre compte des prix, de temps en temps je les ramène en francs (je ne sais pas ce que ça représente en francs belges) mais en francs français la somme est vraiment élevée, juste pour un petit top, de surcroit en viscose!! A vrai dire le travail qu’on arrive à réaliser soi-même n’a pas de prix et est infiniment plus gratifiant que l’achat d’un top de luxe, juste pour l’étiquette!! Enfin c’est mon humble avis…
    En tout cas j’aime bien ta réalisation (y compris sa couleur) et le dos est vraiment chouette!! La viscose trop fine tend à être un peu molle, à vivre sa vie comme tu dis et chiffonner assez vite. J’ai eu le même souci avec une robe que j’ai faite (en viscose et manches kimono). Je la mets rarement parce qu’en moins d’une heure elle est toute froissée.. Pour ce qui est de l’ourlet très arrondi, tu as dû t’amuser avec ce tissus glissant.. Une solution “propre” est de faire une enforme, mais bien sûr cela augmente le temps de travail et le prix!!! Mais quand on aime on ne compte pas!!

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    1. Merci Falbala!! Oui un enforme aurait été une solution. Mais j’ai préféré faire un ourlet pour garder en légereté. Ceci dit, tu as bien raison, le travail qu’on fait pour soit même finalement, ça n’a pas de prix, en Euro ou en Franc, d’ailleurs!!! 😉

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  3. J’aime beaucoup ton haut indépendamment du reste qui n’est pas anodin, c’est certain ! La viscose, j’ai commencé à en acheter depuis 3 ans car je trouvais que pour l’été, c’était plus frais à porter et ça tombait plus souplement. C’est paradoxal de ma part car j’essaie d’être le plus éco-citoyenne possible… par exemple, mercredi prochain, j’irai chercher mon panier de légumes local et bio (produit à 3 km de chez moi et je me suis engagée pour toute la saison jusqu’à novembre pour soutenir ce maraîcher) mais en même temps, si je n’achète quasi plus rien en vêtements pour moi, la réalité est que j’ai une fille ado et qu’il faut bien l’habiller (elle ne veut plus de fait main hormis pyjamas et déguisements ) et les enseignes où l’on va pour elle(h&m et kiabi) sont loin d’être éthiques… Alors, merci pour cet article très intéressant et qui fait réfléchir! Ce que j’aimerais bien maintenant, c’est connaître des alternatives à ces tissus, leur impact environnemental… car finalement, le coton est loin d’être écologique… as tu déjà testé les tissus en chanvre? C’est ce qui me tente en ce moment !

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    1. Le sujet est en effet inépuisable!! Certes le coton n’est pas écologique (consommation d’eau, de produit pour certaines teintures, etc) Meme si certaine filière le sont plus que d’autres. Je n’ai pas testé le chanvre. En ce moment, je suis amoureuse d’un coupon de lin mélangé (20% de coton) couleur naturelle. ET effectivement, le lin est une culture intérressante, peu de consomation d’eau, moins besoin de soleil, etc… C’est comme pour la bouffe, le mix énergique, et le sport: faut diverssifier!! (remarque, c’est peut-être pas applicable pour les amours ;-))

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  4. De mon côté, j’achète peu de vêtements et du coup j’ai une garde robe assez réduite ! Ca ne me traumatise pas car je ne suis pas une grande fashion addict. Par contre ca ne me dérange pas de mettre un peu cher dans les rares fringues que j’achète pour avoir du made in france ou des tissus écologiques. Oui je peux mettre 150 euros dans une robe et 120 peut-être pas mais 80 dans un top sans souci. Après mon nombre de robes est inférieur à 10 … et malheureusement avec un job à temps plein et deux enfants + le fait que je ne sois pas hyper douée, je n’ai pas le temps de compléter à la main autant que je voudrais ! Alors 120 euros c’est un peu excessif (je gage que la rémunération de la marque y est pour quelque chose) mais oui à payer quelque chose qui les vaut !

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    1. C’ets super inspirant de voir que qu’on peut être dans sa consommation en accord avec ses principes. Moi j’ai vraiment du mal dans l’act d’acheter. SI c’est pas cher, je me dis que c’est probablement fait dans des conditions déplorables, et si c’est cher, ben ça me bloque, (nan, mais ça représente quelle portion de mon salaire???)…. Le juste milieu, toujours ce juste milieu! si je le trouve, je ne le lache pas!! 😉

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